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ANAAL NATHRAKH | interview ~ le 25-05-2009
avec :
- Dave "VITRIOL" Hunt (chant)

réalisée par : Space Ritual


Activistes véhéments de la scène extrême depuis une décennie, les Brummies d’Anaal Nathrakh nous délivrent aujourd’hui leur cinquième album « In the Constellation of Black Widow ». Mélange habile de Black Metal et de Grindcore – le tout saupoudré de samples – la musique des Anglais se veut sans compromis. Échanges par mails interposés avec l’intransigeant Dave « VITRIOL » Hunt.



Je commence par une question qu’on a du beaucoup vous poser : pourquoi avoir signé avec Candlelight pour la sortie CD de votre nouvel album ?

VITRIOL : Pour être honnête, répondre sur tout le côté business de la musique m’ennuie. Nous avons signé avec Candlelight car c’est un label respectable qui est capable de s’occuper de nous correctement. S'ils peuvent représenter Emperor sérieusement, ils peuvent le faire également pour nous. C'était le même raisonnement qui nous avait poussés à signer avec Season of Mist pour deux albums. C'est vraiment tout ce qu'il y a à en dire – en ce qui nous concerne, un label est juste un mécanisme pour sortir et promouvoir un album. Ça fonctionne d’autant plus si la collaboration est bonne avec les personnes du label mais ce n’est pas non plus comme se marier.


Alors pourquoi choisir de sortir la version vinyle sur votre label FETO ?

La décision de garder le vinyle sur FETO est du au fait que nous aimons le vinyle et ça nous donne la chance de faire quelque chose d'un peu spécial avec le LP - de grandes maisons de disques ne sont pas trop concernées par le vinyle car leur business fonctionne surtout autour du CD. C'était donc assez facile pour nous pour garder les droits du vinyle et passer par FETO pour cela. Mais pour en revenir à la sortie du CD, Candlelight a déjà un grand réseau de distribution, les contacts avec la presse, etc. Ils sont donc mieux équipés que FETO pour distribuer la musique d’un groupe avec un statut tel que le notre aux personnes qui le souhaitent.


Je n’ai malheureusement pas pu écouter votre nouvel album « In The Constellation Of The Black Widow ». Pouvez-vous nous le présenter ?

Tu pourrais t’attendre à ce que les membres du groupe soient les personnes les plus subjectives quant à l'évaluation de leur propre musique. Mais en fait nous sommes tous deux aussi objectifs que honnêtes, particulièrement quand nous parlons l'un à l'autre de nos albums. Nous en parlions justement hier dans la nuit et nous avons reconnu que c'est le meilleur album que nous avons fait. Ce n'est pas une déclaration marketing, je te dis juste ce que nous pensons de nous-mêmes. Évidemment tu dois toujours penser comme ça. Mais cette fois, nous ressentons ce sentiment de manière plus forte entre nous. D’une manière générale, si tu as écouté notre album Eschaton puis In The Constellation Of The Black Widow, tu le trouveras plus désagréable, plus rapidement, plus sombre. Il y a donc une progression comme toujours, mais comme description, c'est probablement un bon point de départ. Si vous ne nous avez jamais écouté, ça va être un choc - nous sommes l’un des groupes les plus agressifs au monde. Il y a l'amertume, la haine, le mal, la misanthropie, enveloppés dans une sorte de tourbillon des formes les plus extrêmes de musique métal. « On Crack ».


Votre musique devient de plus en plus directe. On peut maintenant siffler du AN sous la douche ! Est-ce un but recherché ou une évolution « naturelle » ?

C'est une supposition assez étrange étant donné que seule une poignée de personnes a écouté le nouvel album et que tu n’es pas l’un d'entre eux ! (Ndlr : je parlais surtout de l’album précédent) Tu pourrais être capable de siffler environ 3 mélodies par album, mais si tu essayes d’en faire plus dans la douche, j’imagine que tes voisins penseront que tu es fêlé ou que tu es en train de commettre un meurtre. Mais ouais, nous en avons marre de ne pas avoir d’argent donc nous avons pensé que nous ferions un album plein de blast beats et de cris mais en y mettant trois ou quatre mélodies pour faire un maximum de thunes. Si certains voient dans notre musique une tentative d'être « commercial », ce sont de foutus idiots. Nous n'avons aucun but populaire. Nous faisons de la musique comme nous le sentons, la musique que nous voulons entendre, la musique qui nous donne satisfaction. On espère que les gens pourront retirer quelque chose de notre musique, mais nous n'allons pas changer ce que nous jouons pour obtenir des fans, fuck that !


Concernant les paroles, quels sont les thèmes abordés dans ce nouvel album ?

Un tas d'idées individuelles différentes, mais la plupart d'entre elles tournent autour de la similitude entre la société et l'excrément. Les thèmes sont puisés dans la littérature nihiliste scandinave, la prophétie médiévale apocalyptique, les expériences terrifiantes dans l'anthropologie qui mènent au viol et à la violence, la psychologie des divins, la futilité de la rébellion, l'abus de pouvoir et la tyrannie. Il y a beaucoup de choses en cours, beaucoup de nouvelles façons d’aborder l’articulation de nos idées nihilistes misanthropes. Certainement pas comme Slipknot qui se résume à un caprice de gamin. Tout cela est malheureusement réel, même si la frontière de la folie diffère selon chacun.


Vos textes ne figurent pas dans vos livrets et le chant ne permet pas toujours de tout comprendre. Une volonté d’entretenir le flou est-elle recherchée ?

Je suppose que tu pourrais dire ça. J'ai horreur d’expliquer les choses aux gens en détail. Je ne m'attends pas à ce que les auditeurs passent des heures à faire des recherches sur nos albums - c'est de la musique, pas un examen. Mais si une personne est intéressée par ce qui se passe, je préférerais qu’elle pense par elle-même, car le peuple ne s’intéresse pas assez au monde qui l’entoure. Il attend trop gentiment son lot d’informations pré-mâchées. Ces informations sont appréciées car elles sont faciles à comprendre et faciles à oublier. Nous ne voulons pas fournir un manifeste, nous essayons plus de créer une esthétique, une atmosphère. Mais si quelqu'un peut dire : « j'ai entendu ces paroles ou ce titre de chanson et ça m'a fait penser au sujet et voici ce que j'ai pensé - que pensez-vous ? » - ce serait merveilleux.


Les vocalises d’Anaal Nathrakh sont vraiment extrêmes et très variées. Est-ce le résultat d’un rendu « live » en studio ou d’un travail vocal murement réfléchie ?

Tout est très spontané. Pourquoi je pense qu’un tel éventail de styles et de sons seront toujours justes ? Parce que nous avons pensé qu'ils sonnaient justes quand nous les enregistrions. Ressentir la musique, ressentir ce que tu essayes de transmettre et traduire ces choses qui te passe par la tête. Quand nous enregistrons les lignes de chants, nous écoutons la musique par section et je décide à ce moment comment chanter chaque partie. Quand tu écoutes le CD, tu entends comment c'est arrivé. Je pense que la musique contribue à rendre un sentiment de vitalité spontanée, ça la rend vivante et chaotique.


Des artistes ont-ils influencé ta façon de chanter ? Je pense notamment à Attila(Mayhem, Sunn O))), Aborym…) dont vous êtes proche…

Il y a quelques parties qui sonnent comme Attila mais la plupart de ce que je fais ne sonne pas comme lui, même si la comparaison est flatteuse. Nous avons en commun la recherche de l’expérimentation. Nous nous sentons libres d’interpréter notre vision de la musique et n’avons rien à foutre de ce que nous sommes « sensés » faire. Attila était donc une influence sur les parties qui sonnent comme Attila et je suppose que tu pourrais dire que Garm (Ulver, Arcturus) était une influence pour le chant clair car je me suis vraiment plongé dans « La Mascarade Infernale ». Mais j’essaye juste de reproduire les sons que j’entends dans ma tête quand j’écoute de la musique. La plus grande influence a toujours été, et de loin, les choses que j'entends dans ma tête. J’ai d’ailleurs une idée d'une chose particulièrement étrange que je pourrais faire sur l'album suivant - mais nous verrons bien ce qui arrive.


Revenons à la naissance d’Anaal Nathrakh. On vous imagine grands amateurs de Black Metal ou de Grindcore. D’où est venue l’idée de confronter le Metal extrême avec la musique industrielle ?

Ouais, nous étions dans et le Grindcore et le Black Metal parmi beaucoup d'autres choses, bien qu'aucun d'entre nous ne soit particulièrement dans la musique industrielle en tant que genre. C’est plus que nous aimons tous deux les sons étranges et durs. Je me souviens il y a quelques années, nous étions à Londres dans le métro et nous étions vraiment excités par les sons énormes et inquiétants s'effondrant sinistrement sans vie qu'un train souterrain, surtout vide, faisait quand il passait à toute vitesse. Je suppose que, comme tu es français, tu peux comprendre si je te dis que c’était plus une version extrême de « musique concrète » que de la musique industrielle à proprement parlée. Ce n'est pas que nous sommes particulièrement conscients de ce genre, mais ça correspondait plus à l’idée que nous avions en tête. Nous avons voulu réaliser un paysage sonore vraiment horrible et nous avons utilisé tout ce que nous pouvions pour y arriver.


Mick (Irrumator) est seul pour composer l’intégralité de votre musique. Quel est l’apport de ton jugement ? Est-il important au point que certains morceaux puissent être parfois fortement modifiés ou abandonnés si ceux-là ne te plaisent pas ?

Nos rôles sont clairement définis. Mick crée la musique, je m’occupe du chant et du côté « conceptuel » - les paroles, les titres d'album, etc. Il y a un certain degré de liaison, mais pas trop. Ce n'est pas parce que nous avons une règle contre les « interférences » dans ce que l'autre fait, mais simplement parce que chacun fait ce qu’il sait le mieux faire. En dehors de quelques idées que je suggère, Mick est bien meilleur que moi pour l'écriture des riffs et le reste. Et il pourrait avoir deux ou trois idées de styles vocaux mais en principe, je suis assez bon pour savoir comment chanter et caler ma voix donc je m’occupe de ça. Si jamais je détestais quelque chose que Mick a crée, je lui dirais et nous pourrions discuter des changements à apporter et vice versa, mais ce n’est jamais arrivé. Quand il s’agit d’autres choses que des morceaux, c'est assez consensuel. Une fois l’album enregistré, Mick s’occupe du mix. J’écoute donc le « rough mix » et nous discutons des changements à apporter jusqu'à ce que nous soyons tous deux satisfaits. Pour l’artwork, je donne habituellement à l’avance le nom de l’album (ou nous choisissons à partir d'une liste de noms que j'ai proposés), pour déterminer de ce qui va finir sur la couverture. Pour cet album, j’ai choisi l’illustration et Mick a crée l’artwork par rapport à ça. Pour l’album précédant, il a pensé au titre et avait l'idée d'utiliser des images de la première guerre mondiale, pour Eschaton, une des chansons avait trait aux fractales, etc. Essentiellement nous sommes tous les deux sur la même longueur d’onde pour ainsi dire. Il y a très peu de frictions.


Venons-en à une autre question que l’on vous pose régulièrement. Pourquoi ne pas faire de tournée ? J’ai pu vous voir au Hellfest l’an dernier et votre prestation était excellente ! Alors manque d’envie, emploi du temps incompatible ou difficulté à retranscrire la musique complexe d’AN ?

Merci, je suis heureux que tu aies apprécié notre set. Nous avons pris plaisir à jouer dans ce festival. Nous voulons simplement que nos shows soient des événements spéciaux, mémorables plutôt que quelque chose qui arrive tous les jours. Je n'ai aucun désir d'être une "rock star" et vivre sur la route. En fait nous ne refusons pas beaucoup de dates que l’on nous propose. C’est juste que nous ne recherchons pas activement de dates et n'avons pas d'agence de réservation professionnel nous mettant en avant pour des concerts comme la plupart des groupes de notre importance. Et oui, il peut être difficile de se réunir, surtout depuis que Mick passe la plupart de son temps en Amérique. Mais je pense vraiment qu'il y aura encore plus de concerts pour cet album que dans le passé, gardez donc vos yeux ouverts…


Comment jugez-vous le parcours accomplit par Anaal Nathrakh et quelle est votre ambition pour les années à venir ?

Nous n'avions aucune espérance quand nous avons commencé. Tout ce que je voulais, c’était sortir un album que je pourrai voir quand j’irai chez le disquaire. Et ensuite, quand c'est arrivé, la seule autre chose j'ai jamais voulu était de voir une édition japonaise d'un de nos albums parce que cela me semblait être la chose la plus exotique au monde. Ensuite, ce qui m’a semblé 5 minutes plus tard, j’étais au téléphone avec un mec habitant au Japon pour la traduction de nos « liner notes » sur l’un de nos CD et nous jouions devant des milliers de personnes dans un festival français. Donc, étant donné que nous avons réalisé tout ce que j'espérais et bien plus encore, je pense que notre parcours a été incroyablement couronné de succès. Pour ce qui est de l’avenir, nous travaillons actuellement sur une vidéo. C’est très intéressant car nous n’avons jamais fait ça auparavant.


Je suis toujours étonné par la longévité de groupes comme Napalm Death ou Slayer. Pratiquant une musique extrême, redoutez-vous la « limite d’âge » ?

Non, pas vraiment. Ce n’est pas comme si nous étions particulièrement vieux. Mais la seule chose je verrais comme un problème serait de ne plus ressentir ce que nous faisons comme quelque chose de naturel. Parce qu'alors, tu dois te forcer, ce qui induit que la flamme originelle serait éteinte. Dans notre cas, ce n’est certainement pas arrivé et je ne vois aucune raison de s'arrêter sur quelque chose qui n’a pas lieu d’être pour le moment. Je n’ai pas d’autre intérêt que ce que nous sommes en train de faire. C’est ça qui est important, vital. Je me fous du reste.


Qu’écoutez-vous ces temps-ci ? Quels nouveaux groupes vous ont interpellés ?

Récemment j'ai écouté les Swans - la plupart des personnes qui connaissent notre style de musique écoutent depuis des années, mais je ne les avais jamais écoutés auparavant. Il y a pas mal de trucs qui sont nouveaux pour moi dernièrement et j’attends l’opportunité de les découvrir : le nouvel album de Moss (Extreme Doom UK) que j'ai pris la semaine dernière et un autre groupe qui mélange doom extrême et sons électroniques appelé Gnaw. Je cherche aussi deux choses très différentes : le concerto de violoncelle d'Elgar conduit par Barbirolli et une jolie compilation obscure de chorale « Basso Profondo » russe. Ce truc semble vraiment surnaturel.


En France, le projet de loi HADOPI vient d’être adopté. Cette loi a pour but de punir le téléchargement illégal sur internet. En tant qu’artiste et patron de label, qu’en penses-tu ?

Il y a différentes manières de voir cela. Comme artiste, je veux que les gens achètent notre musique au lieu de techniquement la voler, car de cette manière, nous gagnons un peu d'argent. Nous avons besoin d'argent parce que nous avons besoin de nouveaux équipements, de temps en studio, de salles de répétition, etc. Et finalement, si nous n'obtenons pas d'argent, nous ne serons pas capables de continuer en tant que groupe.
Mais en même temps, il y a beaucoup de personnes qui n'auraient jamais entendu notre groupe sans le téléchargement. Et c'est un simple fait que les gens téléchargeront de la musique quoiqu’il arrive. Si ces personnes s’intéressent au groupe et achètent des trucs après avoir téléchargé la musique, il y a clairement un effet positif. Ce dont je parle est l'idéal : le téléchargement responsable. Si vous téléchargez de la musique et que vous l’aimez, sortez et aller acheter l’album. C’est irréaliste de dire que les gens ne devraient jamais télécharger la musique, mais s'ils la téléchargent SEULEMENT et ne soutiennent jamais les groupes qu'ils aiment sans acheter un CD ou aller aux concerts, ils baisent ces groupes et la scène dans laquelle ils ont grandi.


Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions ! Je te laisse le mot de la fin…

Merci pour le soutien. Pour les visiteurs ? La plupart d'entre vous sont les compatriotes de l'homme qui a le mieux sondé les profondeurs esthétiques à la gloire de l’expression, sans égard pour les conséquences. Bien joué. J'espère que vous avez trouvé cette interview utile.


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